Notre ventre, au centre de l’Être ?
Avant toute chose, il est important de préciser que c’est par commodité que nous utiliserons le mot ”ventre”. C’est en fait du tube digestif dont nous allons parler ; composé de l’œsophage, de l’estomac, et des intestins. Il y a quelques milliers d’années, il a été à l’origine de notre système nerveux actuel et serait en quelque sorte, notre cerveau primaire.(1) De facto, élément central de notre être (il n’y a qu’une lettre de différence entre ventre et centre), il est étrangement une sorte d’extérieur qui littéralement nous traverse. Reliant une partie noble de notre corps qui est la bouche, à une partie moins appétente, qu’est notre anus. Sa surface déployée, est quatre cents fois supérieure à celle de notre peau. Nous serions donc plus en contact extérieur avec notre intérieur, que notre extérieur ! Cela peut paraître anecdotique, mais nous verrons plus tard que ce n’est pas évident…
Mais revenons au point de départ, vers cette interrogation somme toute banale : Notre ventre est-il au centre de notre être ? La réponse du point de vue anatomique est évidente : oui ! Mais ce qui nous intéresse, c’est de nous pencher sur son rôle. En effet, ces cinquante dernières années de recherches liées au ventre nous conduiront tout droit à devoir réinterroger le dualisme corps & âme. Bien qu’inséparable de ses deux confrères, le ventre serait un monde à part entière. Une remise en cause impensable direz-vous. Peut-être… bien que Platon ait lui-même proposé dans La République une tripartition, mais de l’âme seule, de son côté, Rudolf Steiner en avait également proposé une, mais pour l’Homme entier. Nous verrons que celle que nous proposerons ici ne relève d’aucune des deux.
Bien qu’habité par plus de deux cents millions de neurones, notre ventre n’est pas un simple cerveau. Microcosme serait plus approprié pour qualifier notre tube digestif. Effectivement, outre ses neurones, ce dernier renferme environ cent mille milliards de bactéries. C’est bien plus que les cellules qui composent l’entièreté de notre corps. Nous parvenons à accomplir un miracle en permanence : renfermer en nous un écosystème plus vaste et plus complexe que nous même.
Des découvertes de ce type commencent à abonder, mais il semble encore difficile à un grand nombre d’accepter quelques évidences. Il est certain que certaines de ces révélations peuvent nous ébranler sérieusement. Pourtant, la connaissance de la place centrale de notre ventre dans la santé et la relation intime qu’il entretient avec notre cerveau n’est pas nouvelle. Cette citation d'Hippocrate est là pour nous le rappeler : Que la nourriture soit ta médecine. En effet, nous sommes principalement constitués de ce que l’on mange.
En outre, qui ne connait pas ces nombreuses expressions nous rabâchant sans cesse que notre ventre et notre cerveau sont directement liés, comme : J’ai eu du mal à digérer ce que tu m’as dit, ou C’était magnifique, ça m’a pris aux tripes. D’ailleurs, une question que l’on pose très fréquemment a également un rapport direct à notre transit et à notre état d’esprit. Cette question, c’est tout simplement : comment ça va ? On s’aperçoit également que bon nombre de ces expressions font référence aux émotions. Dans l’imaginaire collectif, l’émotionnel est directement rattaché au cœur. Mais, qu’on le veuille ou non, le ventre volerait même la vedette à ce symbole de l’amour. Ce qui se cache derrière notre nombril aurait bien plus à voir avec notre comportement que notre cerveau ou notre cœur…
Mais revenons aux bactéries : ces microorganismes unicellulaires ou procaryotes sont apparus sur terre il y a presque quatre milliards d’années. Une comparaison avec l’apparition de l’espèce humaine serait presque ridicule. Malgré tout, aujourd’hui, les bactéries que nous renfermons sont dépendantes de nous. Tout autant que nous sommes directement dépendants d’elles, et certainement plus. Cela peut paraître également un peu fou, mais il n’est pas certain que nous soyons vraiment seuls à décider de notre comportement. D’après le professeur Stephen M. Collins de l’université McMaster au Canada (2), les bactéries auraient également leur mot à dire. Il a pu prouver avec plusieurs expériences sur des souris, que le microbiote intestinal influençait directement le cerveau. Par exemple, une souris exempte de bactérie aura un comportement irresponsable. Le même animal à qui l’on réintroduit un microbiote vas se remettre à prendre moins de risques. Ainsi, la survie des bactéries dépendrait directement de la survie de l’animal… Et si l’on en croit le passé, ces dernières veulent survivre, quel qu’en soit le prix. Mais qu’il n’y ait pas méprise : les bactéries ne nous contrôlent pas totalement, mais force est de reconnaître qu’elles influencent grandement notre comportement.
Là où nous pourrions avoir notre mot à dire dans cette union subie de notre corps et de ces habitants, c’est sur ce qui les nourrit ! La composition même de notre nourriture et notre façon de la consommer ont un impact indéniable sur notre santé. Autrement dit, le résultat de l’absorption de différentes molécules joue directement sur notre comportement. Il est par ailleurs intéressant de remarquer que le rapport ventre / comportement n’est pas à sens unique. Notre état d’esprit lors d’une prise de nourriture aura une incidence sur notre digestion, alors même que cette dernière aura une incidence sur notre état d’esprit. Ce dernier étant immanquablement lié à notre façon de nous comporter. C’est le serpent qui se mord la queue. En attendant l’idée de regarder le ventre pour mieux soigner la tête commence à gagner du terrain. (2)
Dans notre société occidentale, le rapport social et nourriture est considérable. C’est très souvent autour d’un verre ou d’un repas que l’on se retrouve pour discuter et tenter de refaire le monde. Il est rare que l’on parvienne à quelque consensus, mais une chose est certaine, on aura modifié au moins un monde : notre ventre. Personne n’oserait remettre en cause le fait que la consommation d’alcool a un impact direct sur notre comportement. Mais il est encore difficile de faire remarquer au consommateur lambda que la consommation de sucre par exemple, peut avoir des conséquences plus dramatiques que l’alcool, car banalisé.(3) L’ingestion de sucre provoque de véritables pics de bien-être. Souvent comparés à la jouissance, mais dont l’issue est toujours la même : si la prise n’est pas continue, comme toute drogue, le consommateur passera inévitablement par un passage dépressif plus ou moins important en temps et en proportion en corrélation avec son addiction au sucre.
Ce qui est étonnant c’est que, si nous savons l’écouter, notre corps nous parle. Il nous signale par de nombreux de symptômes que ce que l’on ingurgite produit des déséquilibres. Mais une fois encore, nous ne sommes aucunement éduqués dans ce domaine. Nous avons tendance à chercher les causes de notre mal être à l’extérieur. Prenant tel ou telle excuse ne nous appartenant pas pour nous cacher derrière une chose que nous ignorons. Le cerveau intestinal est le lieu où la peur, l'anxiété et les phobies prennent leur source, et c'est aussi là que naissent l'intuition, l'appréhension, les prémonitions, le désir de contrôle et les obsessions. Au lieu d'essayer de contrôler son ventre, il vaudrait mieux apprendre à l'écouter... (4)
Encore une fois, la réalité est bien plus complexe que ce que l’on pouvait imaginer, et l’on ressort abasourdis, contraints par un nouveau paradigme. Mais revenons cette fois à nos neurones qui se trouvent dans notre ventre. Depuis un certain temps déjà, la liaison informative à travers le nef vague entre le ventre et le cerveau était connu. Ce qui est récent, c’est la découverte du trajet dans le sang de la sérotonine (hormone du bien-être), qui est un neurotransmetteur (qui permet le langage entre les neurones) et qui est à 90% produite et stockée dans la paroi intestinale.(4) Elle agit ainsi par un autre chemin que le nerf pneumogastrique, directement au niveau du cerveau. Et plus précisément dans l’hypothalamus, partie qui gère entre autres nos émotions. C’est ici que nous retrouvons Platon, entre raison et émotions…
À un moment donné de son parcours, au-delà à la bipartition corps / âme, Platon propose une tripartition de l’âme sur laquelle il reviendra par la suite. Mais son choix de dissection est particulièrement intéressant et mérite encore d’être étudié. Mais si ce n’était pas uniquement au niveau de l’âme qu’il fallait imaginer cette trinité, mais au niveau de l’Être ? Une proposition pourrait donner ceci :
· Un corps : propre à nous mais qui est changeant, qui se renouvelle.
· Une âme : qui nous est propre et qui le reste.
Et :
Un microcosme issu de l’extérieur de nous-même, composé de bactéries, elles même en relation avec des neurones et des éléments nutritifs. Appelé dans son ensemble ”tube digestif” et pièce maîtresse de notre Être, que nous rassemblerons sous un terme plus générique et plus bref :
· Un ventre !
Ce texte n’a aucune prétention et n’est qu’une proposition, elle ne facilite en rien la question de notre individualité, l’aggravant certainement même. Car un Être complet, en parfaite ataraxie, deviendrait le fruit de la symbiose de trois éléments au lieu de deux comme actuellement. Nos pensées et nos actes seraient enfants de cette tripartition. Il serait donc primordial d’apprendre à écouter notre ventre. Celui-ci étant en quelque sorte une interface qui nous relierait au présent et à l’extérieur, prenons-nous en grand soin.
Peut-être faudrait-t-il revoir le paradigme de notre corps. L’intelligence intrinsèque des bactéries mêlée à notre cerveau si développé et associé à notre âme devrait donner tout autre chose que de simples humains. Notre flore bactérienne étant autant à l’extérieur qu’à l’intérieur de nous commence à nous rapprocher de la définition de Dieu. Respirons calmement, cela masse le ventre et c’est une aubaine, apaise le cerveau.
Pour finir, cet adage imagé de Saint Augustin qui grâce à la sagesse d’esprit avait peut-être tout compris sans même savoir que nous avons tous, plus de bactéries dans notre ventre qu’il y a d’étoiles dans le ciel :
Où cours tu comme ça ? Ne sais-tu pas que le ciel est en toi ?
Coagulation : Emmanuel SIMIER / 2019
(1)Neunlist Michel (directeur de l’unité neurogastroentérologie de l’Institut des Maladies de l’appareil Digestif à Nantes) « Le nom de deuxième cerveau est finalement un nom qui est un peu usurpé. Parce que moi je le considère comme notre premier cerveau voire cerveau original. En effet, les organismes primitifs, pluricellulaires étaient initialement composés d’un tube digestif et c’est au sein de ce tube digestif que s’est développé ce système nerveux entérique. » in, Le ventre notre deuxième cerveau, coproduction Arte France – INSERM – SCIENTIFILMS, 2013.
(2) Denjean, Céline, Le ventre notre deuxième cerveau, coproduction Arte France – INSERM – SCIENTIFILMS, 2013.
(3) Gameau, Damon, Sugarland, documentaire, 2018
(4) Professeur Michael Gershon, neuro-gastroentérologue, directeur du département d'anatomie et de biologie cellulaire de l'université de Columbia à New York. In www.lexpress.fr consulté le 28/09/2018
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Marc-André Selosse, Jamais Seul, Acte Sud Nature, 2017
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Fabric Hyber (artiste) :
« Développez vos cellules en fonction de vos aliments ! » ( Œuvre Cerveau-estomac, 2000)
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