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N!Iléament

Erwin Schrodinger :

« Peu importe que ma théorie soit exacte, du moment qu’elle est utile. »

 

N!i

 

De cette comédie Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée d’Alfred de Musset publiée en 1894, le titre aura réussi à se frayer un chemin à travers les siècles et continue de hanter nos esprits. Quatre-vingts ans plus tard, arrive une réplique bien moins connue mais bien provocatrice comme savait le faire Marcel Duchamp : « Il faut qu’une porte soit à la fois ouverte et fermée » (1). Deux affirmations contradictoires donc, qui malgré tout, et c’est là l’enjeu de tout ce linéament, n’en sont pas moins fausses l’une que l’autre. Dans un premier temps et sans explication supplémentaire, il est bien entendu que la seconde puisse nous laisser quelque peu perplexe.

 

Du domaine des sciences des lettres & des arts, passons maintenant à celui des sciences physiques, et plus précisément à celui de la physique quantique. Car de son côté, le physicien autrichien Erwin Schrödinger lance en 1935 un pavé dans la mare, depuis devenu célèbre : l’expérience dite du « Chat de Schrödinger ». Cette dernière n’a jamais été réalisée à ce jour, et pour cause, elle est impossible à mettre en pratique. Il s’agit en effet d’une expérience dite ”de pensée“, qui cherche à mettre en évidence la possibilité ”d’états superposés”. Pour être bref et se faire un aperçu clair de ces ”états”, l’hypothétique chat du physicien pourrait être à la fois mort et vivant. Bien que plusieurs théories aient depuis été proposées pour abroger cette expérience paradoxale, elle est toujours un monument incontournable de la physique quantique et ne cesse de faire couler de l’encre, preuve en est.

 

En outre, huit années plus tôt, au 11 de la rue Larrey à Paris, Marcel Duchamp réussissait l’exploit de mettre une porte dans deux états simultanés : à la fois ouverte et fermée ! Ainsi, après avoir déjà révolutionné ”sans s’en rendre compte”, le domaine de l’art moderne, il aurait fait de même pour la physique quantique… Mais laissons donc à Schrödinger le privilège de cette découverte, car il faut bien l’avouer, Marcel l’aura une nouvelle fois fait par hasard.

 

Nous ne cherchons évidemment pas à confirmer ou infirmer quoi que ce soit. Peut-être à essayer de formuler les choses d’une autre manière que notre vision habituelle. Changer de point de vue, s’apercevoir qu’en plus d’être ouverte et fermée à la fois, une porte peut également être ni ouverte, ni fermée. Ni thèse ni antithèse à avancer donc, mais plutôt une proposition, celle de ”N!i”, comme une non définition d’un état précis, celui qui ne bascule d’aucun coté, ne penchant pour aucun des deux du négatif ou du positif.

 

N!i, un mot imprononçable qui l’est malgré tout (prononcer [nhi!]), à l’instar de ”YHWH”. Mais attention, qu’on se le dise tout de suite, N!i n’a pas la prétention d’un dieu, quoi que… N!i aurait parait-il la capacité de modifier les consciences en leur donnant à penser par elles-mêmes. De développer son esprit critique, élargir sa zone de confort et donc se découvrir au-delà de soi-même. Ayant l’aptitude de pouvoir dire tout et son contraire sans pour autant se contredire, N!i serait un outil à ne pas mettre entre toutes les mains (hashtag religions). S’il n’avait qu’une origine, elle serait du côté du Japon et du Bouddhisme. On imagine parfaitement un koan se terminer ainsi : le maître assénant un coup de bâton sur son disciple en s’écriant : N!i ! Une interjection qui sonne comme une injonction. Il est fondamental de préciser encore une fois (voir l’onglet ”à propos”) que N!i n’est pas une religion, n’a pas besoin de fidèles pour exister, n’est ni masculin ni féminin et enfin, ce n’est pas un morceau de mot emprunté au nihilisme. Ni oui, ni non, N!i est un alliage des deux et à la finesse de ne pas tomber dans le clivage. Réduire un monde à deux extrêmes opposés ne serait pas très sérieux, hashtag manichéisme. N!i sonne plutôt comme une direction inatteignable à suivre. C’est rassurant, c’est difficile. N!i est donc difficile à atteindre mais pas impossible et on le sait dès le début, sans mensonge… ou en toute clarté, à chacun de choisir. Quel soulagement ! Il ne reste plus qu’à vivre notre labeur. Plus besoin de courir derrière le bonheur, cette mystérieuse chose qui nous échappe perpétuellement. Il est ainsi, le bonheur n’est pas l’absence de souffrance. Tous deux sont indissociables, l’un a besoin de l’autre pour exister. N!i est bien plus facilement accessible que le bonheur envisagé par la plupart d’entre nous et nettement plus enviable que le malheur dans lequel nous pataugeons. Alors quoi ?

 

Bien que l’article de Wikipédia sur l’expérience du chat de Schrödinger nous dise qu’il n'y a pas lieu de philosopher à son sujet, le plaisir de taquiner la philosophie par le biais de la physique quantique est bien trop grisant pour ne pas le faire. Il faut rappeler qu’à une époque encore proche le domaine des sciences physiques et de la philosophie ne faisaient qu’un.

 

Continuons donc par un peu d’ironie nietzschéenne pour nous mettre dans le bain. Essayons de balayer ce qui paraît quelque peu trop ”certain” ou ”établi”, et inspirons-nous du chapitre premier de Par-delà bien et mal. Cette phrase taquine de Nietzsche nous donnera le ton : « En admettant que nous désirions la vérité : pourquoi ne préférerions-nous pas la non-vérité ? Et l’incertitude ? Et même l’ignorance ? » (2). En étourdissant ainsi, dès les premières pages de son ouvrage d’un coup de massue le lecteur et quelques philosophes, il cherche à déboussoler certes, mais dans un même temps à faire réagir. Ayant perdu tout repère, à chacun de choisir de nous en remettre à ses divagations ou bien de retourner chercher le nord dans des certitudes sophistes. Présentement, nous partirons sur ses traces pour nous aider à disséquer quelque peu la grammaire. Aussi, toujours dans le même ouvrage, au chapitre « Les préjugés des philosophes », tout comme Nietzsche s’amuse à retirer (2) le ”je” ou le ”ça” du verbe ”penser” si cartésien, proposons de retirer un ”ni” de la conjonction négative + ”ni” ou simplement du ”ni ceci…ni cela”, qui donne un concept autonome : ”N!i”.

 

« En fin de compte, il y a déjà trop dans ce ”ça pense” : ce ”ça” enferme déjà une interprétation du processus et ne fait pas partie du processus-lui même. […] et peut-être un jour s’habituera-t-on encore, chez les logiciens aussi, à se passer de ce petit ”ça”. » (2) En raisonnant de cette manière, l’action penser pourrait en quelque sorte être ou devenir autonome. De façon similaire, dans la sagesse asiatique, le présentatif ”c’est” peut fonctionner de façon autonome. Il est vu comme « un état de fait » et n’a pas besoin d’adjectif pour qualifier une situation, cette dernière étant ce qu’elle est à l’instant t et rien n’a la capacité au présent de modifier cet état. Pour conclure ce premier paragraphe, un état ”N!i” pourrait donc se qualifier par lui-même et devenir lui aussi autonome, ne condamnant pas une situation à être ni positive, ni négative ou pire encore vraie ou fausse.

 

Rebondissons sur cette dernière proposition pour aborder la possibilité de l’existence conjointe de plusieurs vérités superposées. Dans son livre Le chat de Schrödinger, l’écrivain Philippe Forest cite un exemple pour nous parler du potentiel que renferme un « […] bloc de marbre informe qui comprend en puissance toutes les statues qu’un sculpteur pourrait en faire sortir […]. En somme, ledit bloc de marbre est assez semblable à la boîte dans laquelle Schrödinger a enfermé son chat. Il recèle simultanément tous les états superposés de la réalité […] » (3). Ainsi, avant d’ouvrir la boîte ou de commencer à sculpter le bloc de pierre, toutes les possibilités, les réalités seraient coexistantes. Pour aller plus loin et prendre conscience de toute cette potentialité, regardons ce qu’il y a à l’opposé du bloc de marbre, à savoir la non-matière. En effet, dans son livre Le potentiel infini de l’univers quantique, un résumé avisé du scientifique Lothar Schäfer nous parle de « l’espace largement vide qui entoure le noyau atomique » qui « est vide de matière, mais rempli de potentialité » (4). Grâce à cette nouvelle étape, nous appréhenderons d’autant plus la non-réalité d’une vérité. Nous voyons par conséquent qu’il est nécessaire que quelque acteur ou observateur agisse à un instant t pour prendre « mesure » de ce qu’il se passe, en l’occurrence, dans la boîte. Une vérité serait donc issue d’une prise de décision d’une personne à un moment donné et ne serait ”vraie” qu’à ce moment précis et aux yeux seuls de cette personne.

 

D’où cette « Exclamation indignée » de Goethe dans sa Contribution à la morphologie (5) :

 

Je l’entends répéter depuis soixante ans,

Et que je peste là contre, mais sincèrement.

La nature n’a ni noyau, ni écorce ;

Elle est tout d’un seul coup.

 

Une nouvelle fois, nous devrons donc donner raison à Marcel Duchamp quand il affirmait que « c’est le regardeur qui fait le tableau ».

Qu’en est-il de nous autres, aspirant à la philosophie, cherchant sans cesse à qualifier ceci ou cela ? Ne devrions-nous pas élargir nos horizons, nous laisser imaginer une nouvelle dimension, et peut-être même simplement nous ”contenter” de ce complexe concept qu’est n!i pour appréhender la vie et la mort ?

 

Pour en finir momentanément et ne laisser personne de côté, et surtout pas le peuple, écoutons ou réécoutons d’une nouvelle oreille ce que nous dit la sagesse populaire : « peut-être n’avons-nous pas besoin de voir d’autres choses mais les choses autrement ? »

 

Emmanuel SIMIER, Avril 2018.

 

 

(1) Duchamp Marcel - Porte simple au lieu de deux portes, 1927. Source https://artplastoc.blogspot.fr, consulté le 08/10/17

Système aménagé dans son appartement parisien (11 rue Larrey) permettant de relier ou de séparer les pièces de la chambre, de la salle de bains et de l’atelier. « J’ai montré la chose à des amis en leur disant que le proverbe ”Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée” se trouvait ainsi pris en flagrant délit d’inexactitude. »

 

(2) Nietzsche, Friedrich, Par-delà bien et mal, (1886) Paris, GF Flammarion, trad. Patrick Wolting, 2000, chapitre premier, p. 4 & 17.

 

(3) Forest, Philippe, Le Chat de Schrödinger, Paris, Gallimard, Folio, 2014, p. 237

 

(4) Schäfer, Lothar, Le potentiel infini de l’univers quantique, Paris, Guy Trédaniel éditeur, 2014, p.91.

 

(5) Goethe, Zur Morphologie (Contribution à la morphologie), cahier 3, livre I, 1820, p.304.

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